Le Zanskar avec RBM
Récit d’un séjour au Zanskar (21 jours)
Voici le récit d’un trek effectué au Zanskar avec Rencontre au Bout du Monde en septembre 2014. Association éthique qui privilégie l’échange et le partage avec les populations.
Jour 1 et 2 :
Après un petit vol entre Lyon et Zurich, nous voici envolé pour un voyage de 6559 km à destination de Delhi.
Après une nuit d’attente dans le hall de Delhi, nous prenons un vol intérieur, direction Leh avec un survol au dessus des montagnes de l’Himalaya.
C’est un choc minéral ou de neige parsemé de petits oasis de cultures et de verdures.
Située à 3 500 m d’altitude, dans la vallée de l’Indus, Leh est la plus importante ville et la capitale de la région du Ladakh.
Elle fût de le théâtre d’une manifestation d’importance au mois de Juillet dernier : le pélerinage Kalachakra 2014– LADAKH avec sa Sainteté le Dalai Lama.
Accueil de Damien et Phuntsok. Ce n’est qu’en 1974 que cette région fût ouverte au tourisme. Mais auparavant Leh était un centre privilégié d’échanges commerciaux sur la voie reliant le Cachemire à l’Asie Centrale.
Après une sieste, nous voici parti déjeuner en ville (premier repas épicé), puis, visite de Leh.
Au retour, petit malaise qui nécessite du repos…
Fatigue, maux de tête, souffle coupé, vomissements… et première inquiétude : vais-je tenir le coup ou être victime du mal des montagnes ? …
Jour 3 :
Après une nuit agitée, le réveil se fait difficile mais sans ces maux de tête qui avaient martelé ma soirée de la veille.
Départ pour l’école de Choglamsar. Un village d’enfants tibétains parmi les 7 écoles que composent TCV (Tibetan Children’s village). Montesori y a fait son entrée et les résultats sont remarquables. Les Ladakhis apprennent quatre langues dès leur plus jeune âge : L’Hindi, l’Anglais, le Ladakhi et le Bodhi.
Avant un déjeuner copieux et « digeste », nous voici en direction du Monastère de Tiktse. Fantastique ensemble architectural. Tsong Khapa avait prophétisé l’établissement d’un monastère en ces lieux et ce fut le neveu de l’un de ses disciples qui fonda Tikste. Actuellement quelques 80 moines y résident.
Quatre temple peuvent être visités dans ce monastère.
Le monastère de Stakna nous réserve une surprise de taille…
Perché sur un éperon de la rive gauche de l’Indus, en amont de Tiktse, Stakna (nez du tigre) fut édifié par un demi-frère du roi Senge Namgyal (1590-1640) ; le monastère appartient l’ordre de Dugpa-Kagyupa. Le supérieur Stakna rinpoche, grand érudit est décédé à l’âge de 91 ans.
Sa réincarnation fût découverte à Garsha (Himachal Pradesh).
Le nouveau Rinpoche est âgé de 3 ans. Il nous remettra à chacun, ce jour-là, un khata (Longue écharpe blanche en tissu que l’on offre lors des grandes occasions, sa longueur souhaite la longue vie, sa blancheur témoigne de la pureté d’intention de celui qui l’offre).
Séance très solennelle et emplie de grandes émotions. Pour en savoir plus : https://www.facebook.com/Drukpa.Order/posts/10201990687502973
Jour 4 :
8 heures du matin. Nous quittons Leh. Quelques Cheik-Point et nous voici à la confluence de l’Indus et du Zanskar. L’eau est limoneuse et bleue : mélange de ces deux rivières. Il est à noter que la chaîne du Ladakh est coincée entre la plaque Indienne et la plaque Asiatique, la Chine grignotant 5 cm par an sur le Nepal… La variété de couleur des roches s’explique par ces poussées inexorables empilant des dépôts marins datant de millions d’années. Après une pause déjeuner, nous voici au monastère d’Alchi Choskhor. Il est un des seuls monastères du 11ème et 12ème siècle subsistant au Ladakh. Il est à 64 km de Leh sur la route qui va à Kargil. Beaucoup de visiteurs découvrent Alchi à l’occasion d’une halte durant un trajet vers Kargil, la vallée de la Nubra. Y passer une nuit est fort sympathique (une dizaine d’hébergement en saison) pour qui aime le calme et permet de s’imprégner de cette ambiance unique.
Il s’agit d’un ensemble de trois temples, d’un chorten et de bâtiments construits entre les XI et XIII° siècle. Longtemps ignoré du monde et bien que n’étant plus en activité, il est aujourd’hui, certainement de par sa singularité, le monastère le plus connus du Ladakh. On reconnaît à Alchi des influences indiennes, cachemiris (sculptures en bois), tibétaines (architecture globale) et d’Asie centrale (motifs des peintures murales). Il est interdit de photographier avec flash dans la plupart des monastères, c’est pourquoi les sources viennent d’Internet. Le long de notre chemin, nous croisons des camions TATA aux couleurs et illustrations qui me fascinent. Une personnalisation hors norme.
Pause déjeuner à Kaltse puis nous voici arrivé à Lamaruru Gonpa. Une légende raconte qu’un grand lac occupait le fond de la vallée. Un disciple d’Ananda (fidèle compagnon du Bouddha) vint par la voie des airs se poser sur une ile et prophétisa l’établissement d’un monastère…
Pause à Mulbek pour une pause photo du Bouddha Nouveau de 8 mètres de haut et datant du 13ème siècle.
Nous arrivons à Kargil de nuit après avoir été chahuté par les travaux à l’entrée de la ville, préparatif aux autres transports à venir.
Dernière nuit à l’hôtel…
Leh (3500 m) – Kargil (2676 m) : 213 km
Jour 5 :
Départ en véhicule, direction Karsha, pour une journée de piste qui durera un temps interminable de chaos routiers. Nous avions été prévenu et donc ce n’est pas une surprise. Je m’équipe d’une ceinture pour protéger les lombaires, de mes écouteurs et de vêtements pour me coincer dans le véhicule.
Comme dans le tambour d’une machine à laver ! Voilà comment RBM nous avait prévenu de ce périple, seule voie possible pour accéder au Zanskar, mais je n’avais compris le sens exact du mot tambour.
Le temps étant couvert nous ne profiterons pas du Nun et Kun. Mais Phuntsok saura agrémenter notre longue journée de la pause de mandalas neufs. Nous pourrons admirer les premiers glaciers. Je reste admiratif devant le courage de tous ces camions qui font le trajet probablement quotidiennement. Au loin, nous voyons les premiers monts couverts de neige. Nous voici désormais à 4400 m au Col du Pensi La. A cette hauteur l’edelweiss est roi. Ainsi que la marmotte ! Nous arrivons à Karsha à la tombée de la nuit. Je suis accueilli par Lobsung, Amo et Mina, leur fille. La soirée ne sera pas très longue : repas court et me voici dans mon duvet en peu de temps. Première nuit chez l’habitant. Bonne nuit à tous.
Kargil (2676 m) – Karsha (3700 m) : distance 231 km
Jour 6 :
Après un repos bien mérité, nous voici parti pour visiter le Monastère de Karsha. Karsha est le plus grand monastère Gelugpa (école des bonnets jaunes) du Zanskar. Il fut fondé au 12ème siècle par Pagpa Sherap et abrite 160 moines.
Nous voici au Zanskar, vallée issue de populations tibétaines depuis le 7ème siècle. En 1337, le Cachemire passe sous la domination des dynasties musulmanes. Cette annexion favorise le rapprochement entre le le Zanskar et le Ladakh. Dès lors, entre les deux régions s’établit un réseau d’échanges culturels qui s’étendra au Tibet central et au Guge. Au 17ème siècle, les Mongols envahissent la vallée. Les Moghols aideront à la libération, mais leur emprise sera forte par la suite.
Au retour, je prépare le repas avec Amo : carottes, pommes de terre et épinards agrémentés de riz. Puis , je bois mon premier thé salé au beurre de yack. Il est préparé dans une baratte spécifique et superbe.
Nous nous dirigeons vers la nonnerie et faisons la rencontre de l’amchi du village. Il s’agit d’un monsieur très âgé et grand-père du coordinateur basé à Leh.
Nous conversons avec lui sur la médecin ayurvédique et l’ouverture du Zanskar au monde extérieur. Ici les caries n’existaient pas par exemple. Philosophe très positif, ce médecin des plantes est un puits de connaissances. Une très belle et émouvante rencontre. Il nous adresse une prière dans le temple. Pas assez de temps pour visite la nonnerie car la nuit va tomber.
Le soir, nous prenons le repas tous ensemble. Dès mon arrivée je me mets à la fabrication des momos (sorte de gros raviolis farci aux légumes). La maîtresse de maisons nous remet un khata en signe de bienvenue. Certains goûtent à la bière locale : le Chang (bière d’orge). Pierre sort la Chartreuse.
Séance de photos prises par Damien.
Karsha s’étage sur une colline qui surplombe la plaine de Padum.
Padum est la capitale du Zanskar avec une population de mille habitants, bouddhistes et musulmans sunnites. C’est le seul endroit au Zanskar où l’on trouve une mosquée.
Jour 7 :
C’est la journée des contretemps. Après une visite de l’école LMHS à Pipiting durant laquelle nous recevons un khata, nous nous dirigeons vers Padum pour déjeuner. 1er rendez-vous manqué car les femmes mulsumanes de Padum ne nous attendent pas pour déjeuner. Nous trouvons enfin un restaurant et nous prenons la direction de Itchar. Pépin ! la route est barrée car en travaux. Il faudra attendre au minimum 1h30 avant que la route ne soit praticable. La première journée de marche est par conséquent compromise et nous finirons par être déposés au pied du village. Les femmes cependant nous ferons accueil fantastique avec thé et khata. Ce soir, je ferai ma première expérience seul dans une famille.
L’Inde c’est ainsi : plein d’imprévus et de belles choses.
LA VISITE DE L’ECOLE LAMDON MODEL HIGH SCHOOL (LMHS Pipiting)
Nous sommes accueillis par deux membres de l’association Aaz basée à Garches (92), dont Madame Damiens, femme de feu le fondateur de l’association. Un architecte est également là pour superviser les travaux. École de confession bouddhiste, l’école LMHS compte 300 enfants (12 classes) venus des vallées environnantes. L’association a fondé cette école, les travaux d’extension et finance le fonctionnement. Les investissements ont été réalisés avec le soutien de fondations (Total, Areva, Astom) et de fonds privés italiens. Le Dalaï Lama est venu soutenir ce projet d’extension en cours de réalisation. D’autres projets sont en cours d’étude ou de finalisation : passage à Montésori, création d’un internat, car les enfants viennent de très loin et sont souvent hébergés par des proches ou un parrain ou une marraine. La scolarité d’un enfant coûte 250 € l’an.
Les nouveaux bâtiments ont été construits dans des matériaux importés mais en respectant l’architecture bouddhiste. Les bâtiments ont été conçus dans le cadre de préconisations écologiques, thermiques et environnementales : double vitrage, système d’emmagasinement de la chaleur à travers le verre et stockée dans les murs (paille + terre + air). Le directeur nous remet un khata. Il s’agit d’un érudit tibétain à qui l’école a donné sa chance et lui témoigne toute sa confiance. Il assure les cours de Physique-Chimie en plus de sa mission de direction. Quand il ne donne pas des cours de rattrapage avant les examen. L’école a de très bons résultats et le directeur y est pour beaucoup. Notre guide : Phuntsok a étudié dans cette école ce qui explique son émoi…
Cordonnées de Aaz : http://www.aazanskar.fr/
Le soir, nous sommes accueillis par toutes les femmes du village d’Itchar pour la remise des fonds dédiés par RMB au village. C’est la TCHANG PARTY. 35 femmes nous accueillent à coup de cha-kan-té, de thé, de chang et d’arrak. Ce dernier est un alcool fort et Phuntsok nous déconseille fortement d’en boire si nous souhaitons marcher le lendemain. Moi, je suis devenu le roi des momos et la quizaine ne me fait pas peur. Je me suis aussi habitué au thé salé au beurre… Discours officiels et remise de de fonds.
Au son des tambours quelques femmes dansent et chantent les œuvres traditionnelle zanskaris. Elles seront rejoints d’autres femmes, puis d’hommes dont moi…. L’une d’entre elle porte le costume traditionnel orné de turquoises les plus grosses les unes que les autres.
Une soirée pleine de rires, de joies et de gentillesse.
Jour 9 :
Une fois de plus les rayons du soleil ont eu raison de mon sommeil. Il est 6h30 et les hommes et les femmes du village sont déjà en train de récolter les blés et de les retourner pour les faire sécher. Le bruit des cloches (chevaux, chèvres) retentit au loin. Le soleil s’est levé derrière la montagne la plus élevée. Au loin, les monts sont enneigés à 5000 mètres (espérons que nous n’ayons pas à poser notre tente dans la neige les prochains jours). Tout est calme, le bruit de paille que l’on retourne, le son des cloches au loin et le chant des oiseaux sont les seuls sons qui percent le silence. Les habitants portent de lourds fardeaux ; sépareront le grain de la paille dès que le séchage terminé et puis poseront la paille sur le toit de leur maison pour les 8 mois d’hiver. Celui-ci servira au bétail. Ils utilisent des fours solaires : de grandes paraboles munies de réflecteurs. Ils y font chauffer l’eau. Loin de tout, l’eau et les énergies sont précieuses. Ici, il n’y a pas l’eau courante. On se lave au ruisseau qui coule autour des maisons. Pas de salle de bains, de l’eau chaude pour le thé et la soupe. Mais la femme m’apporte un seau d’eau tiède pour un lavage rapide du visage et des bras. Peu importe car les vêtements sont crasseux. Un homme se met à chanter. Le travail lui semble peut être moins dur ou moins répétitif. Moi aussi, la musique m’accompagne dans les moments de randonnée (Nolwenn Leroy et son album Histoires Naturelles notamment,merci, merci). Le horseman est venu chercher de l’eau et du fourrage pour les chevaux. Ce sont de petits chevaux bien courageux qui portent au moins 40 kg. Ils sont libérés le soir et le matin, les horsemans font des km pour aller les chercher dans les montagnes ou vallées au son de la cloche qu’ils ont mis à leur cou. Au loin un chörten (ou stūpa) est superbe.
La forme du stūpa connaît une forte variation lors de sa dissémination dans le continent asiatique, chaque région développant son style propre. Ainsi, au Tibet, de même qu’au Bhoutan, au Ladakh et au Sikkim, le stūpa devient chörten, avec sa forme caractéristique de bulbe, tandis qu’en Birmanie et en Asie du Sud-Est, il adopte une forme typique de cloche.
Entourée de ses montagnes si différentes la vie semble paisible, simple. Un homme dans son champ se laisse distraire. Peut être as-t’il mal au dos ou contemplant l’ampleur de ce qu’il lui reste à arracher accroupis s’accorde t’il une pause.
Nous voilà partis sur le chemin de PHUKTAL GOMPA.
Phuktal Gompa : « Accroché à la paroi comme un nid d’aigle, à près de 4000 mètres, Phuktal Gompa est l’un des plus hauts monastères du Zanskar. Une grande grotte abrite ses différentes chapelles, dominant les cellules des soixante moines qui y vivent. Phuktal est un modèle d’ingéniosité et d’audace, un exemple de volonté dans la recherche d’un lieu favorable à l’inspiration spirituelle et à son élaboration » (extrait des livres d’Olivier Föllmi).
Une longue marche nous attend. Une randonnée à flanc de montagne. L’eau est de plus en plus bleue turquoise. Au loin nous apercevons les montagnes enneigées de part et d’autre. Le paysage est de plus en plus granitique. La pente est importante dès le départ et le petit déjeuner a du mal à le faire discret. Nous atteignons les 4000 mètres ! Nous prolongeons le chemin en longeant cette Tsarap si bleue. Je n’ai pas trop de difficultés à monter malgré les montées et les descentes. Par contre je prend à nouveau des coups de soleil sur les bras. Il est temps de baisser les manches. Je m’émerveille de ces paysages tantôt lunaires, tantôt chaotiques mais toujours teintés par la Tsarap et le ciel bleus. Le chemin est de plus en plus étroit et malgré tout nous croisons des hommes accompagnés de chevaux. Je me trouve en tête de file sans peine car mon pas est plus rapide que celui des autres. Aujourd’hui c’est Deva Premal and Miten qui m’accompagne. Ses mantras indoux et thibétains résonnent spécialement à mes oreilles sur ce chemin. Je suis de plus en plus ému de ce que je vis. Je pense à toi mon petit amour. Je pose le caillou en ton nom sur ce si beau chemin.
Enfin, nous apercevons Phuktal ! Je suis pris d’une émotion devant ce spectacle si attendu. Une émotion intense et des larmes non maitrisables. Derrière mes lunettes de soleil je remercie et contemple l’Univers.
Pause repas à la boutique de Phuktal. Mais je ne peux m’empêcher de sortir pour me retrouver seul et contempler cette merveille. Des moinillons se lavent les cheveux et les shampouinent. Ils se font raser la tête par un moine. L’un d’entre eux va échapper à cette corvée. Il a 11 ans et sera notre guide dans Phuktal. La cote est rude après le repas mais l’envie de rentrer dans ce monastère est intense. Le spectacle est plus à l’extérieur qu’à l’intérieur : la construction, le point de vue sont extraordinaires.
Le petit moine semble pressé de retourner jouer avec ses amis, alors il hâte la visite et gâche un peu mon plaisir.
Nous passons devant un tas de petits souliers : c’est la classe des moinillons. Nous redescendons. Il est temps de dire au revoir à Phuktal.
Le retour est plus difficile le ventre plein et le cœur encore à Phuktal.
Nous croisons des groupes de népalais s’attachant à la construction d’un chemin ou d’un sous-bassement de chemin menant à Phuktal. Leur regard est livide et nos namasté ne rencontrent pas beaucoup de réponses. Quelques rares sourires égayent mon cœur. Quelle vie difficile à des kilomètres de chez soi ! Le site est déjà beaucoup visité mais avec cette future route le site deviendra envahis de touristes. Un bien ou un mal ?
Je me rend compte de l’autre côté de la rive du chemin parcouru le matin, et surtout de sa hauteur. Nous voici arrivés dans une espace de verdure : notre point de bivouac. Les tentes ont été montées par la Dream-Team. Francine sors le saucisson et trois petits semblent l’apprécier. D’un regard très noir à l’arrivée, les voici joyeux et même un peu dissipés. Une « douche » à l’eau froide nous attend ! Quel bonheur. Une glace, un seau et un robinet d’eau froide. Trop content de pouvoir se laver après 4 jours sans douche.
J’ai hâte d’arriver à Tsango pour pouvoir laver mon linge.
Hier soir j’ai été content de converser avec René de ses voyages (Jordanie, Italie). Par contre il souffre de quintes de toux qui le fatiguent. Repas sous la tente mess et dodo.
J’ai ramassé quelques cailloux à Phuktal pour les offrir à ceux que j’aime.
Il est temps de dormir car demain la journée va être longue.
Il est 18h30…
Jour 8 :
Ce matin, comme tous les matins je suis réveillé avant le lever du soleil. Nous descendons les sacs dans le bas du village pour qui soit posés sur les chevaux. Quelques habitants se lavent et lavent leur linge à la rivière. Certaines femmes nous attendent pour nous offrir le thé « d’adieu ». Quel bel accueil, nous avons bien des leçons à prendre de ces âmes si généreuses. Nous prenons le chemin qui longe le Lung Nag Chu (ou Tsarap selon les cartes). L’eau est couleur turquoise ! Le mélange des couleurs minérales, la couleur de l’eau me mènent vers des songes, des contemplations et des émotions extraordinaires. Nous faisons une pause spartiate mais providentielle pour certains d’entre nous. Nous sortons rapidement du chemin balisé pour entamer une suite de montées et descentes à flanc de montagne, à flanc de falaise. Les chevaux que nous croisons sont extraordinaires d’habilité tant le chemin est étroit et raviné. Les paysages apparaissent plus grandioses les uns que les autres, mélange de montagnes enneigées, d’oasis de cultures aux couleurs variées et toujours de bleu qui me fascine. Que dire du minéral qui nous entoure ? Il est tantôt doré, blanc, vert, calcaire, schisteux ! Je pose une petit pierre à côté d’un chörten en pensant à mon petit amour qui m’attend en Ardèche.
Nous arrivons sur Cha : oasis de cultures variées. C’est la coupe du blé qui mobilise les habitants. Notre hôte y est bien occupé. Repas simple préparé par nous : écossage des petits pois avec les enfants enrhumés (pas grave les petits pois seront cuits). Ah oui : les enfants n’ont pas de mouchoirs là-bas ! Le ciel est enfin dégagé est je peux enfin admirer la lune.
Demain est un grand jour pour moi car le monastère que nous allons voir est celui qui m’a donné l’envie de venir en Himalaya. Celui qui m’a fait pleurer d’émotions à table, les larmes coulant d’une émotion irrépressible.
Nous sommes à 3900 mètre d’altitude
Ichar (3750 m) – Cha (3800 m) : distance 18 km environ
Jour 10 :
Nous nous sommes levés de bonne heure car la rando d’aujourd’hui va être longue. Nous relions Kansar à Tangze. Je profite du temps qu’il me reste pour me laver les cheveux et me raser. Nous déjeunons à 7 heures et plions bagages et tentes. 8h30, départ vers Tangze et je salue au passage nos trois petits amis qui jouent déjà sur un tas de cailloux. Une ligne droite et nous voilà en train de grimper 300 ou 400 mètres de dénivelés. La cote est longue et rude juste après un petit déjeuner. Il faudra que je pense à ne pas manger de chapatis ou de pan cake le matin. Nous longeons la rivière, la Kargyag Chu, qui est nettement moins bleue que la Tsarap. L’eau est très limoneuse. Tout est moins beau que la veille. La magie de Phuktal s’efface et lave avec elle les couleurs du ciel et de l’eau.
Peut être l’idée d’une rando de 7 heures n’arrange pas le moral.
Un petit coup de pensée positive et le décor se fait de plus en plus agréable avec quelques oasis, des champs dans lesquels s’affairent hommes et femmes. Des espaces sont dédiés aux saules, arbres utiles dans les constructions des maisons. A l’extérieur des maisons des bouses de yack s’entassent sur des hauteurs vertigineuses. Des galettes que les zanskaris font sécher (par contre je n’ai pas vu comment ils en font des galettes….). Dans certains villages la bouse est encore le seul combustible. Dans d’autres, le gaz est arrivé et a révolutionné la vie des familles. Mais la plupart continuent à cuire les chapatis de manière traditionnelle. Après 5 heures de marche, nous faisons une pause déjeuner dans un endroit ultra venteux et inconfortable. Le repas est vite englouti et la pause écourtée tant le froid nous glace les os. La suite de la rando semble pénible pour certains d’entre nous. Le soleil du matin refait son apparition et le vent se calme un peu. Nous passons sur deux ponts constitués d’une ossature en bois et de pierres plates trouvées non loin du pont. Les chevaux ne passent pas le deuxième pont… Ils empruntent un pont tout neuf à l’arrivée de Tangze. Nous voici arrivés et profitons d’une arrivée prématurée pour nous rendre à la rivière. L’eau est gelée et le courant important. L’eau vient des glaciers et me semble plus prudent de n’y glisser que mes pieds ; le reste attendra. C’est d’ailleurs, probablement en se lavant le haut du corps, que l’une d’entre nous finira son séjour malade à crever. Donc prudence.
Par contre je me délecte avec la couleur des cailloux : un vrai régal pour les géologues de passage. Les couches géologiques successives offrent offrent une palette de pierres rarement vue.
L’une d’entre elle, une pierre rose, améliore la guérison des coupures (source : amchi local). Je monte un peu plus haut contempler les chôrtens et les pierres sculptées par les habitants. C’est l’heure du diner, un repas frugal et varié (merci la Dream-Team). Demain : courte étape jusqu’à Tangso. Nous pourrons enfin laver notre linge. Cette journée n’a pas été si rude que j’aurai pu l’imaginer. Seul, mon sac à dos me fait très mal. Difficile de se passer du contenu tant le climat peut varier. J’ai hâte de rencontrer le tailleur de pierre.
Bonne nuit. Il est 19h.
Comme tous les soirs je remercie tous ceux qui accompagnent mes pensées et me soutiennent dans cette épreuve : l’univers, tous mes anges et protecteurs, mes parents, mes grands-parents, mes enfants (thomas, morgane et lucas), les mamans de mes enfants, mon petit amour et son fils. Et tous ces petits anges chanteurs avec qui nous partageons de si beaux moments. Sans oublier les profs et leur chef « de coeur » : Nathalie Bamby Bouvet.
Jour 11 :
Nous partons pour une petite journée de marche en direction de Tangso en logeant la Kargyag Chu. Le vent est très fort mais le soleil est plus ou moins au rendez-vous. Nous contournons chörtens et stupas sur la gauche et prenons une belle route. Belle, mais pas fantastique comme les précédentes. Devant, avec Phuntsok nous écoutons notre musique. Il m’enverra des chansons ladakhis et moi des chansons françaises. Nous faisons une pause car nous avons pris beaucoup d’avance. Puis, nous croisons trois jeunes filles qui nous offrent des baies d’argousier. Elles sont de Tangso et nous saluent rapidement. Le reste du chemin est long et pénible. Enfin, nous arrivons au pont de Tangso, au croisement de deux vallées. Phuntsok et la Dream-Team se à faire des cabrioles sur le pont. Francine et moi les rejoignons sur la bordure du pont. Ce sera le tour de René (haut montagnard) de grimper tout en haut du pont avec nos amis. Une hermine jouera avec nous un bon moment faisant des aller-retour sur le pont à une vitesse prodigieuse. Nous arrivons à Tangso où nous sommes accueillis avec le thé et des gâteaux. Nous arrivons dans les familles. C’est très rustique et authentique dans la nôtre et cela me ravis.
Enfin, le fameux poêle à bouse de yack…
Je dormirai sur ce qui leur sers de salle à manger et/ou de dortoir pour les 7 enfants. La plupart des enfants sont partis étudier ailleurs. Tout le monde mange dans notre famille ce soir. Le diner sera organisé par roulement dans les familles les prochains jours.
La Dream-Team qui nous accompagne est constituée d’un chef de cuisine, de son second, d’un helper et de trois horsemans dont Tashi Stop Daln, notre hôte. Ils sont assistés de 13 petits chevaux bien courageux. Le village est constitué de parcelles bien séparées de tas de pierres. La plupart des habitants sont aux champs. Je m’empresse d’aller laver mon linge au « lavoir ». Il s’agit d’un petit cours d’eau (l’eau vient des glaciers) qui me glace les doigts au fur et à mesure du lavage. Je pose le linge sur les pierres pour le faire sécher, là où les bouse de yack ont séché auparavant.
Nous sommes à 4200 mètre d’altitude dans une vallée entourée de montagnes enneigées.
Ce soir, repas sommaire mais chaleureux.
Claire n’est pas très en forme mais je veille sur elle.
Je suis allé chercher mon linge de peur qu’il s’envole. Je le mettrai à sécher dans ma chambre pour la nuit.
Tangso (Trangtse)
Le village est constitué d’une douzaine de maisons de terre bâties sur un coin de terre cultivable entre torrent, le Shanka, et hauts sommets culminant à 5500 – 6000 m et couverts de glaciers et de névés. Le climat est celui d’un désert froid de haute altitude : 4 mois d’été sans pluie avec des pics de chaleur jusqu’à 30 °, puis 8 mois d’hiver avec des chutes de neige variables et des températures négatives jusqu’à – 30 °, 310 jours d’ensoleillement par an.
Le Shanka et ses affluents sont des torrents qui jouent un grand rôle dans la vie du village. Ils permettent le ravitaillement en eau potable pour l’alimentation des hommes et des bêtes, l’irrigation des parcelles cultivées, et servent à faire tourner les moulins pour faire de la farine d’orge.
Le village ne possède pas d’électricité -sauf un panneau solaire dans chaque maison pour un éclairage sommaire – et pas d’eau courante. A cette altitude pas de bois non plus pour le chauffage, les habitants utilisent les bouses de Yack séchées comme combustible.
Jour 12 :
Je me retrouve seul dans cette cuisine bien chauffée à écrire ces quelques lignes. Je pense souvent à mon petit amour et à mes enfants. A me demander ce qu’ils font à cette heure. Bien souvent, avec les trois heures de décalage ils dorment ou dinent. Ce matin j’ai aidé un monsieur à retourner le blé dans son champs pour le faire sécher. Il a mal au dos, alors un coup de main est le bienvenue. Il est venue en France l’année dernière à Grenoble et doit y retourner en Octobre avec l’association Alpes-Himalaya.
https://www.facebook.com/pages/Alpes-Himalaya-Nos-frères-du-toit-du-monde/270443956408347
Nous allons visiter l’école du village qui construit deux nouvelles classes. Les enfants apprennent quatre langues dès l’âge de 6 ans : L’Anglais, l’Hindi, le Body et le Zanskari.
Une jeune fille me lit un texte en anglais avec un enthousiasme et une précision incroyables. A peine 16 ans.
Le directeur a fait construire des puits de lumière (construction opérée par Alpes-Himalaya) dans les classes mais la plupart des élèves étudient dans le couloir. Skid Phuntsok nous informe de la construction d’une route en direction de Leh qui passe passe par le Shigo la. Un échange s’instaure autour des avantages et des inconvénients… Vaste débat.
Une soupe dans l’estomac et nous voici partis pour deux heures de marche vers le village de l’amchi. Il a 62 ans et fait beaucoup plus que son âge. Le soleil, le froid, la rudesse de la vie font vieillir prématurément ici. Il nous explique qu’il fait le vœux de pouvoir un jour obtenir une « encapsuleuse » lui permettant, à lui et son fils, de mettre en gellule les médicaments à base de plantes locales pour une meilleure posologie. Cette machine ne coûte que 20 000 roupies (300 euros). Damien lui explique que ce projet peut être déposé auprès de RBM pour un financement.
Il nous sculpte un Om Mani Padme Om pendant que sa petite fille joue avec certains d’entre nous. Nous serons nombreux à lui acheter une pierre pour l’aider et rapporter un beau souvenir.
Ce soir c’est la Tchang Party du village. Remise de khata et c’est parti pour les chants et les danses au son du tambour. Des gens simples, rustiques et heureux. Le passage d’une route et la modernisation font l’objet d’un mini-débat. Pour moi, la modernisation aura une contrepartie. Ce soir, nous rencontrons des membres de France-Himalaya qui ont construit les fameux puits de lumière de l’école. Des produits de récupération (hublots de machine à laver, tubes et aluminium des boites de coca) ont servi à la construction de ces puits. Beau projet mené à bien. Les fêtards sont partis pour boire une bonne partie de la nuit. Pour moi, c’est quelques danses avec la Dream-Team et puis dodo.
Jour 13 :
Pour moi, c’est parti pour une petite toilette et un lavage du linge au ruisseau. Mes doigts sont transis de froid. Je comprends mieux pourquoi les habitants laissent tremper leur linge dans des bassines plutôt que de frotter comme je le fais. C’est l’eau des glaciers qui coule ici. D’ailleurs cette montagne enneigée me fait très envie. A moi le Zongabar, même si je sais que je n’atteindrai pas les 5540 mètres, j’ai probablement espoir d’atteindre les 5000 mètres histoire de voir comment je réagis à cette altitude (car ce cap est important à passer).
Je m’équipe de mon sac à dos, qui me fait toujours très mal, de quelques vêtements chauds, de mon panneau solaire et de ma poche d’eau de 2 litres.
Là haut la neige qui m’attire depuis deux jours. Je ne me donne pas d’objectif à atteindre pour cette grimpe. En bas, je vois le groupe de Damien qui prends la direction de la bergerie d’altitude (7 heures de marche dont ils reviendront bredouilles).
Pour ma part, je mont à mon rythme en rencontrant, pigeons, marmottes, jument et son nouveau-né. Les plantes sont si belles que je décide d’en récolter et de constituer un herbier.
Plus je monte et plus je m’approche des neiges. Pause près des Doksas (maison des bergers) inhabitées. Puis, plus haut, me voici probablement arrivé vers les 5000 mètres d’altitude. Mon rythme cardiaque s’accélère et ma respiration se fait plus difficile. Tout au moins, le fait de mâcher un abricot rend difficile la respiration… Quelques photos de mon « exploit » et il est temps pour moi de redescendre. Je suis heureux d’être monté si haut, plus haut que le Mont-Blanc… et je suis prêt pour le Shingo La (5095 m). Il 15 heures lors de mon retour à Tangso. Le thé et les gâteaux sont les bienvenus. Puis des chapatis et une omelette et je m’écroule de sommeil.
Réveil à 18 heures au son des tambours qui me guident vers Skid Phuntsok au lointain. La joie de vivre de ces jeunes est belle à vivre et à partager. Une petite danse avec eux au son du tambour et des chants zanskaris ! Repas chez le horseman ce soir et fabrication des momos à la pomme de terre. Un peu bourratifs ces momos, mais je reste à la hauteur de ma réputation. L’ainée de la famille assiste ses parents dans les travaux. Elle ne sourit pas et reste prostrée derrière les tâches qui lui sont attribuées. Elle va grandir bien vitre. Tout le monde est fatigué. Francine Claude aura concocté une petite chanson nostalgique, triste de n’avoir pu rencontrer les bergères.
La lune va bercer mon sommeil à travers les carreaux. Ici beaucoup de poussière vole dans l’air, mais les étoiles luisent à travers les carreaux. Bonne nuit mes amours.
Jour 14 :
Réveil tôt à nouveau ce matin mais moins énergique que les autres. La grimpe à 5000 doit y être pour quelque chose. Je donne un coup de main, à la famille Stanzin, à mettre la paille sur le toit de leur maison. Puis je pars faire un tour au bord de la rivière histoire de voir s’il est possible de se laver plus que le visage et les bras. Sans succès. Au passage « j’échange » avec des marmottes qui jouent cache-cache. Je passe sous un amas de cailloux et de sable en priant que tout ceci tienne le coup tant cet équilibre semble fragile. Puis je continue au milieu des propriétés : chaque propriété est délimitée par des amas de pierres. Des pierres sont manquantes pour permettre de passer d’un lopin de terre à l’autre. Cette délimitation me semble flagrante désormais. Peut être est-ce parce que les terres sont associées aux lieux de vie.
Je passe chercher Claire pour une douce balade jusqu’au pont de notre arrivée. Une promenade de deux heures que Claire a beaucoup de mal à terminer. Au retour, repos en attendant le diner. Ce midi la plupart des membres sont venus se réfugier « chez nous » car leurs hôtes étaient partis dans les montagnes. Du coup, nous avons déjeuné des poires en boîte, du chocolat et des fruits secs. Nos hôtes arrivent précédés d’un homme et d’une femme de passage. Ils vont à la Doksa récupérer le lait des yacks que les bergères auront pris soin de traire durant ces longs jours. Ces gens sont simples et leur sens de l’hospitalité malgré leur pauvreté est touchant. D’autres, dans le village ne semblent pas avoir le même rapport au matérialisme, empruntant des affaires pour qu’on leur offre. S’agissant des plus aisés du village c’est troublant même si ce qu’ils possèdent est peu de choses comparé à notre niveau de vie…
Nos hôtes goûtent une poire au sirop avec délectation et étonnement. Puis nous traitons les blessures de Tashi-Stop-Daln car il s’est coupé un doigt à la serpe. Elle, a mal aux dents. Ils ont la cinquantaine mais semblent usés par le froid et la rudesse de cette vie. Les enfants du village retournent les blés et conduisent les bêtes aux champs, l’école à peine terminée. D’autres feront plus d’une heure de trajet à pied pour retourner chez eux. Nous laissons à nos hôtes : shampoing, désinfectant, pansements, gaze et bain de bouche. Je leur précise que nous en sommes pas médecins pour pouvoir leur laisser des médicaments et les traiter avec ceux-ci. C’est difficile de les laisser ainsi alors que tout ceci est à notre portée. Ils le comprennent. Gageons que l’ouverture de cette route leur offre un meilleur accès aux soins.
Le vent souffle fort et les nuages sont nombreux. Le soleil tente de percer sur les montagnes mais sans succès franc. Dehors les enfants s’essayent au tambour laissé par notre Dream-Team. Nos jeunes ont passé l’après-midi à boire du Tchang dans un champ. Il va être temps que l’on parte car ils commencent à s’ennuyer. L’alcoolisme fait des ravages ici aussi. Nous prions pour le temps soit clément pour les prochains jours car nous n’avons aucune envie de dormir dans la neige.
Il est temps de préparer les bagages pour demain. J’ai réussi à mettre le poêle en route avec de la bouse et du pétrole à briquet. Je n’ai pas la sensation de manipuler de la « crotte » mais plutôt un combustible bien utile. Les pièces sont confinées pour éviter les déperditions de chaleur. De fait, nous vivons dans la poussière et la fumée en permanence. Il nous faut de temps en temps nous échapper en sortant dehors prendre l’air. Et là, c’est la poussière de dehors qui nous attends. Éternuements pour évacuer tout ceci. J’ai emprunté le bout de glace de la « maison » pour me faire un semblant de rasage dans une boite de conserve. Et, oh surprise, mon nez est rouge et pèle. Le soleil à cette altitude ne fait pas de cadeau. Il va falloir le protéger comme le reste. Nous sommes crasseux tout comme eux mais dans l’ensemble le groupe s’y fait en trouvant des astuces pour avoir l’impression de sentir moins mauvais. Les plus « chanceux » ont accès à un peu d’eau chaude. Le linge posé sur les pierres, les foins portés sur le dos en lourds fardeaux, un enfant de 6 qui va chercher l’eau : voici le spectacle « qui s’offre à moi ». Les enfants jouent dehors malgré le froid et le vent. L’enfant de 6 ans semble crouler sous le poids de son lourd fardeau. D’autres enfants vont à leur tour chercher de l’eau avec un bidon de récupération car ici, tout est récupération et transformation. Difficile de dire si leur vie est enviable mais elle est bien plus respectueuse de l’environnement que la nôtre. Peu de soins, peu d’hygiène, le minimum pour vivre… Je ne sais quoi en penser car je le vis mais ne saurai dire si sur la durée cela est enviable.
Mais un paysage aussi grandiose, une vie saine de végétarien, une chaleur du cœur, une générosité vraie, un sens de l’hospitalité et une vraie joie de vivre : voici ce que nous emporterons avec nous en espérant que ces « biens » ne soient pas usés par notre retour à la vie européenne.
Ces jeunes helpers avec leurs casquette moderne, leur blouson en cuir, leurs chants et leurs danses traditionnels sont au carrefour de deux cultures. L’un d’entre eux filme tout ce qui se présente avec son Samsung géant. Ils sont attendrissant, généreux et joyeux. Une équipe sur laquelle Skid Phuntsok peut s’appuyer. Les enfants sont espiègles leur tournant autour cherchant probablement leur attention. Car les parents sont encore aux champs ou dans les montagnes. Il est 18 heures.
La plupart des échanges se font en anglais. Seuls le julé, man julé, tsapik ponctuent nos échanges. Difficile pour moi cette barrière de la langue. D’autant plus, que mon anglais n’est pas meilleur. Cela parfois me bloque car j’ai peur de les brusquer, de ne pas les comprendre. Alors, de fait, je les comprends encore moins. La communication se fait souvent par gestes ou clins d’œil. Certains enfants sont très espiègles et réclament des bonbons à vous en taper sur les nerfs. Il faut, alors, détourner leur attention sur un autre sujet.
Nous avons hâte de reprendre la route. Poursuivre et terminer l’aventure. Le moment le plus difficile pour moi à venir : un col à monter à 5000 mètres, 4 jours sous la tente en altitude et des conditions météo à surveiller. Je compte sur notre bonne étoile pour faire en sorte que cela se passe bien. Une dizaine d’enfants assaillent un jeune helper à coup de terre. Il est contraint de fuir. Ils ont une énergie folle malgré un lever tôt et les conditions climatiques.
Ce soir le diner était royal : petits légume verts accompagnés de rouleaux de pâte, de purée de lentilles. Les petits légumes étaient délicieux. Le meilleur repas mangé ici. Le frère de la maison est moine. Il étudie dans un monastère au sud de l’Inde. Il est moine depuis 13 ans. Il lui reste 6 ans d’étude. Il ne semble pas avoir 25 ans.
Demain nous reprenons la « route ». Claire aura besoin de cheval de secours. Francine et Damien ont été élus reine et roi du Tchang.
Il est temps de rentrer. Notre hôte s’est fait couper les cheveux car demain il prends la route avec nous.
Jour 15 :
Nous nous levons de bonne heure (5h45) pour préparer notre départ. Notre hôte nous accompagne avec ses chevaux. Nous disons au revoir Tse-Ring-Ang-Mo. Elle est émue mais cache ses larmes. Nous prenons un cheval de secours comme convenu, pour Claire. Nous prenons la direction du pont que nous avions emprunté la veille. Nous bifurquons vers la droite et longeons la rivière. Nous traversons un pont et le temps se gâte un peu. Je me sens en forme prêt à gravir ce Shingo La qui me faisait si peur il y a peu encore. Vers midi, nous nous arrêtons pour déjeuner. J’avais emporté un chapati et l’omelette faite à l’huile le matin. Erreur grave car j’ai passé mon après-midi à la digérer douloureusement. Le paysage est très enneigé mais la pluie et les nuages gâchent la vue et par conséquent le paysage. Il pleut… J’ai hâte d’arriver. Cette étape a été découpée en deux parties. En effet, il était prévu que nous restions un jour de plus à Tangso, mais compte-tenu du niveau du groupe, il a été décidé d’étaler cette étape sur deux jours. Nous stoppons vers 16 heures au pied d’une montagne qui culmine à 5360 mètres. Un thé préparé par la Dream-Team nous attend. J’aide l’un d’entre eux à monter ma tente. La rivière coule juste à côté de notre campement. Le cadre est magnifique malgré le froid. Après le thé, il me prend l’idée sotte de marcher pieds nus tant le contact avec l’herbe est agréable. Or, il s’agit d’un terrain où paissent les bêtes ! Je me retrouve obligé de laver mes pieds à la rivière. Mes doigts de pieds sont transis de froid et le resteront un très long moment.
Nous sommes installés à côté d’une doksa où paissent des brebis et des yacks. Francine ira voir (enfin) les bergères et goûtera au fromage avec délectation.
Un groupe important de népalais fait une halte. Ils sont impressionnants ! Ils sont encore plus pauvres que ceux que nous venons de quitter. Ils marchent des jours durant, les pieds à peine couverts, pour aller travailler sur les chantiers indiens.
Le traité de paix et d’amitié, signé le 31 juillet 1950 entre l’Inde indépendante et le Népal, avant que le régime autocratique des Rana ne chute, s’inscrit dans la ligne de la politique himalayenne de l’Inde. Le 6 décembre 1950, Nehru rappelle que « depuis des temps immémoriaux, l’Himalaya nous a donné une magnifique frontière. L’Inde avait donc intérêt à s’assurer que rien ne se passe mal au Népal et que la barrière himalayenne ne soit pas franchie ou affaiblie car sinon cela créerait un risque pour la sécurité de l’Inde aussi bien que pour celle du Népal. Des centaines de milliers de Népalais partent aussi travailler en Inde pour des périodes allant de quelques mois à quelques années.
Le nombre de résidents népalais en Inde atteindrait trois millions. Environ 200 000 Népalaises sont exploitées dans les maisons de passe des métropoles indiennes. Malgré la présence d’ONG luttant contre le trafic d’êtres humains à certains postes frontières de l’est du Népal, chaque année, 7 000 filles ou jeunes femmes seraient les victimes de réseaux de prostitution. La perméabilité de la frontière, elle-même haut lieu de la prostitution, est dénoncée par les organisations humanitaires comme un facteur favorisant la traite des femmes.
Ils sont impressionnants, car inexpressifs, armés d’outils et surtout très nombreux. Je ressent une certaine gêne à la limite de la peur. Comme quoi la peur peut vite engendrer le rejet, voir l’intolérance et par conséquent le racisme.
Je me glisse dans mon duvet car mes pieds sont toujours endoloris. Demain, nous sommes censés traverser la rivière pieds nus… Ça promet ! Je pense à mon petit amour et à mes enfants. Je les remercie tous les jours. Merci d’être eux. Merci de m’accompagner dans cette si belle aventure. Demain, il s’agit de la partie la plus éprouvante et la plus sportive du séjour. Sans avoir hâte de rentrer je dois avouer que cette partie me pèse un peu. Le froid n’est pas mon univers favori. Se laver à l’eau froide non plus. La nuit va être glaciale et il y en a trois autres derrière. Je vais me consoler en me disant que le cadre compense le froid. Bien sûr que tu me manques mon petit amour. Nous avons vécu une année merveilleuse à ne pas se quitter (en dehors que quelques voyages). Ce voyage était important pour moi et ce petit break avant le mariage est une belle épreuve et un beau partage. Je suis conscient que trois semaines sans nouvelles, sans informations et connaissant les risques non négligeables, est probablement le plus dur à supporter. Sans effectuer un séjour aussi rustique je suis persuadé que se confronter au strict nécessaire permet de retrouver cette sobriété heureuse.
Tous les jours, je pose un petit cailloux en pensant à toi et à nos enfants.
Vais-je devenir végétarien au retour ? Je n’en sais rien, mais preuve est faite que c’est possible tout en pratiquant du trek.
J’ai souvent besoin de m’isoler, à travers la musique ou dans « ma chambre ». J’ai une pensée pour ma maman et ma sœur qui traversent des temps difficiles. Une pensée pour mes trois enfants et pour Alexis.
Ce soir, nous avons droit à un diner royal : soupe, momos, momos frits et ananas. Les momos sont accompagnés d’une petite sauce délicieuse. Cette nuit va être fraîche. Il ne fait que 7° cet après-midi. On peut s’attendre à avoisiner le 0°. Francine m’a prêté sa gourde remplie d’eau bouillant pour mettre au pied de mon duvet. Maryline, Francine et Damien m’ont confié leur sac d’emballage pour calfeutrer ma tente et la protéger des courants d’air. Une bonne bouillotte, deux paires de chaussettes et me voilà prêt pour une nuit fraiche. Bercé par le son de la rivière, le vent dans la toile et un yack nocturne qui tourne autour des tentes. La Dream-Team semble s’être bien amusé avec les bergères qui semblaient ne pas avoir leur langue dans leur poche. La nuit est étoilée mais le froid m’a fait rentrer sans vraiment en profiter. Bonne nuit mon petit amour.
Jour 16 :
Réveil à 6h30 et un soleil radieux nous accueille. La vallée est magnifique, malgré le vent et le froid. La tente était glacée ce matin mais je n’ai pas trop ressenti le froid, malgré tout.Claire est obligée de faire le voyage à cheval. Nous avons pris du retard car deux chevaux sont « retournés chez eux » dans la nuit. Les horsemans sont souvent obligés de faire de nombreux km pour aller chercher les chevaux lâchés la veille. Nous faisons une halte dans une épicerie de fortune installée au milieu de nulle part. L’homme doit savoir que le chantier n’est pas et par conséquent de nombre d’ouvriers passent se ravitailler. 4 murs de pierre, une toile et un poêle, c’est tout ce qu’il lui est nécessaire. Nous nous faisons plaisir en buvant un thé chaud, du coca et en mangeant des gâteaux, du chocolat.
Si, si, du chocolat ! Ah quel bonheur !
Juste après nous entamons le chemin qui nous mènera au Shingo La. 300 mètres de dénivelé dans une pente rude. Nous mettons moins d’une heure pour les faire et atteignons les 4500 mètres d’altitude. Pause repas, puis une demie heure de marche pour atteindre le camp de base vers le col. Je me glisse rapidement sous la tente car du grésil tombe sur nos tentes. Nous sommes à 4600 mètres d’altitude.
Nous voici à la moitié de la deuxième partie du trek et j’ai hâte que cela se termine. Le froid me transit et les paysages me semblent moins radieux faute de soleil (le temps se couvre et rend tout ceci moins agréable). L’ambiance au sein du groupe est rendue difficile. Le manque d’animation et la diversité des motivations y sont pour beaucoup. Malgré tout, de belles expériences sont échangées avec René (Kilimandjaro, Islande, Canada, Jordanie). Je me rends compte que j’ai du mal à vivre ces attitudes « hostile », dans un milieu où mes valeurs humanistes sont mises à mal, où la rancœur, l’égotisme et l’intolérance sont maître. J’ai une tendance à m’isoler et à trouver cela protecteur. Mais le groupe de chant me manque, car c’est un lieu plein d’amour où la concorde fait l’harmonie.
Ce soir le repas était fort épicé. J’ai planté ma tente au bord d’un ravin au bord d’un ravin de 50 mètres. Il ne faut pas que je l’oublie demain matin. Ce soir c’est encore deux paires de chaussettes, deux couches de vêtements, le bonnet et les gants. Je ne me plaint pas car il s’agit de conditions climatiques normales pour une fin de saison. Et, nous avons évité la neige !
Demain, devrait être un beau moment car nous montons à 5095 mètres avant de redescendre le Shingo La. Curieuse sensation de se dire que le voyage arrive à son terme. J’aurai passé deux mois à le préparer physiquement et mentalement.
Un sacré challenge pour moi. Certains m’avaient dit : tu es fou ! Tu n’y arriveras pas…
J’y suis arrivé !
Jour 17 :
La nuit fût courte, très courte puisque réveillé à 1h et impossible de se rendormir. Du coup, le mental échafaude les scénarios les plus fous. La nuit est longue et pénible. Peut être que le rythme de la veille a provoqué ces insomnies. Le matin je me retrouve donc le premier levé, sac et tente pliés. J’étais décidé à faire en sorte que le chemin qui me mène à la maison soit le plus court et le moins pénible possible. Cependant, 900 mètres de dénivelés à 5000 mètres d’altitude m’attendent. Et ce n’est pas une mince affaire. Après avoir contourné la montagne sud, nous longeons une rivière résultante de la fonte des glaciers présents devant nous. Très vite, nous nous retrouvons au pied du col. Je me lance en tête avec la ferme intention d’en finir. Mon pas est déterminé et seul de le cheval de Claire parviendra à me devancer. Comble de difficulté : mon mp3 tombe en panne juste avant l’ascension. Je suis suivi de Francine et de René au pas plus lent mais plus régulier. Je suis, pour ma part, contraint de faire des pauses « respiratoires » pour calmer mon rythme cardiaque. Devant moi les helpers montent comme des cabris. Nous faisons une pause à 250 mètres du col. J’en profite pour descendre voir un glacier un peu plus bas. Au retour, Francine a repris l’ascension. Je lui emboite le pas mais la pause m’a fait perdre le rythme. Les derniers mètres sont pénibles. Pris de vertiges et le rythme cardiaque s’emballant, je fais une pause, puis deux. Encouragé par Francine et la Dream-Team j’avale les derniers mètres victorieux de ces 5100 mètres d’altitude.
Nous nous tombons dans les bras et je dépose un khata à la cime en gage de reconnaissance et de remerciement de ce beau moment.
C’est au tour de Geneviève d’arriver ! 77 ans et victorieuse..
Nous l’acclamons comme il se doit et comme elle le mérite. Séances de photos pour immortaliser ces moments. Skid Phuntsok est parti avec le cuisinier faire l’andouille sur une pelleteuse en panne. En effet, une route est en court de construction. Route qui sera terminée d’ici deux ans pour désenclaver le Zanskar. Nous faisons partie des derniers groupes à trekker au Shingo La. Bientôt cet endroit sera une des routes les plus hautes au monde.
Un lac est là. Le paysage est somptueux malgré le vent froid.
Quelques photos de groupe et nous voici partis pour la descente. Certains d’entre nous sont très émus d’avoir atteint cette hauteur. Moi compris.
La descente sera longue et entrecoupée de passages de rivières. Pause déjeuner et repos en plein vent. Mais qu’importe.
Enfin, nous arrivons au camp. Nous buvons un thé et allons nous reposer.
J’espère pouvoir adresser un message à ceux que j’aime pour les rassurer. Bientôt petit scarabée ! bientôt
Jour 18 :
La nuit fût fraiche puisque nous avons atteint les -10° à 4200 mètres ! Nous voici partis pour une journée de descente. Nous sommes entourés de monts enneigés et bientôt nous apercevons la future route en construction. Les camions et les bulldozers s’activent. Geneniève est prise des bronches et le chemin lui est pénible. Nous ralentissons le rythme pour lui permettre de récupérer. Nous nous retrouvons sur la route en construction et croisons des tas de pierres puis, des ouvrières et des ouvriers indies cassant des cailloux. Il s’agit des « castes considérées comme inférieures ». Je suis triste de voir ces gens affairés à casser des cailloux. Ils font des tas de petits et de gros cailloux qui serviront à la construction de la route. Difficile de croiser leur regard. Impossible pour moi de pouvoir prendre des photos, même pour témoigner. Nous faisons une pause repas au bord de la rivière. J’en profite pour faire un bain de pieds et faire quelques jolies photos. nous reprenons la route rapidement car le cheval est attendu au camp. Des gros engins attaquent la montagne. Nous prenons des « raccourcis » pour descendre cette route poussiéreuse. Nous arrivons en début d’après-midi à Zanskar Sumdo. Pause thé, puis nous disons au revoir aux horsemans qui feront la route dans l’autre sens jusqu’à Tangso. Ils mettront deux jours là où nous aurons mis 4. Deux horsemans pour onze chevaux. Chapeau !
Nous croisons sur le camp trois femmes aguerries de l’Himalaya et de la montagne. L’une d’entre elles travaillait chez Nouvelles Frontières. De vraies baroudeuses…
Nous allons faire un tour sur la rive d’en face voir l’embouchure de la rivière que nous avons suivi. Intersection du Zanskar Chu et du Barai Togpo. Le soleil se cache derrière la montagne. Dernière nuit en bivouac. Tout le monde est quelque peu enrhumé. Nous nous sommes cotisés pour offrir les chaussures de randonnée nécessaires à Phuntsok. Nous aurons un certain plaisir à offrir à la Dream-Team bon nombre d’objets et de vêtements. Le repas est copieux : soupe, momos veg, momos frits, gâteau de purée et frites. Si, si, des frites. Nous nous sommes jetés dessus. Enfin, notre équipe de cuisine nous apporte un gâteau à la crème fêtant la fin du trek. Ils sont extraordinaires ! Arriver à faire un tel gâteau est un exploit.
Nous avons partagé ce gâteau avec eux après un discours de Skid Phuntsok très émouvant. Damien restera en recul.
Cela faisait plaisir de les voir partager un morceau de gâteau avec nous. J’étais passé les voir dans l’après-midi. L’un d’entre eux tentait de faire monter des blancs en neige à la grosse cuillère ! Pari réussi. Pierre leur offre de la Chartreuse… Ils ont adoré. Deux d’entre eux reprennent les études. Le cuisinier et son aide repartent pour le trek d’hiver sur les rivières gelées.
Le cuisinier le fait rire avec sa tablette Samsung. Il aura tout filmé et photographié. J’ai chargé son appareil ce matin. Leur simplicité et leur gentillesse m’émeuvent beaucoup.
Ce soir, le ciel est constellé d’étoiles.
Par contre, les moustiques attaquent ! Pulvérisation dans la toile et ça sent très fort. A la veille de retrouver la « civilisation » je pense à tous ces gens croisés durant ce trek. Sales, parfois édentés, miséreux, végétariens par la force des choses, mais heureux et insouciants. Je pense à notre Dream-Team qui fait la cuisine et la vaisselle à l’eau glacée ; qui nous a monté nos tentes, servi le thé au pied de la tente. Aux rires, aux chants, aux danses. Vêtus de guenilles, reprisant la seule paire de chaussettes. La peau épaisse cuite par le soleil, le froid et les travaux des champs. Je pense à ces enfants plein de joie et d’espiègleries. A ces gens usés mais souriant, probablement heureux. Je pense à ceux et celles qui nous ont fait boire et re-boire. J’ai l’impression d’avoir les mêmes rides aux mains. Pas rasé. Crasseux. Mais, moi c’est temporaire.
Que va leur apporter cette route ? Je n’en sais rien. Nous les aurons aimé ces Zanskaris et Laddakis.
Tout comme la rivière qui coule, leur vie est rythmée de ces 4 mois d’activité et de ces 8 mois d’hibernation.
Je suis fier d’avoir atteint les 5100 mètres du Shingo-La. D’avoir grimpé avec vaillance et sans flancher.
J’ai appris beaucoup du bouddhisme, de ses pratiques et de ses beautés. Gageons qu’il puisse continuer à exister dans ces contrées éloignées. Maintenant j’ai hâte de retrouver ceux que j’aime. Il me faudra faire le point de ce que cette expédition m’a apporté.
Il semble que la destination Zanskar soit en perte de vitesse selon les dires. Quelques amoureux de la cause semblent encore y trouver un certain intérêt et attachement. Que deviendrons t’il après la construction de cette voie qui défigure cette si belle montagne ? Modernisme, tu auras eu raison du plus beau, du plus grand. Désenclaver une région pour plus de confort et unifier les bouddhistes. La vie est si rude qu’elle favorisera l’exode rural. Le tourisme de masse. L’arrivée des industriels. L’impact sur les relations frontalières. Phuntsok et les siens a un rôle fort à jouer : préserver le Zanskar et les bouddhistes.
Jour 19 :
Réveillé avant le soleil, je m’aperçois de la rudesse de la température (probablement -10°). Le petit ruisseau et la tente sont totalement gelés. C’est notre dernier bivouac. Nous sommes à 4120 mètres d’altitude. J’ai hâte d’arriver à Manali pour donner, enfin, de mes nouvelles à mes proches. Nos bagages sont faits rapidement. Nous nous mobilisons pour donner un coup de main à la « Dream Team ». Ils vont nous accompagner une partie du chemin avec leur matériel. Je suis heureux de partager ces derniers moments avec eux. Merci de leur gentillesse. Merci de leurs sourires. Merci de leur joie de vivre.
Nous prenons une route cabossée puis rapidement chaotique. Pire que les routes des premiers jours. Nous croisons des indiens (enfants et femmes compris) cassant des cailloux dans la poussière et la souffrance. Je croise leurs regards vides ; mélange de détresse et de rage. De temps en temps s’esquisse un sourire et cela me fait chaud au cœur. Je n’ose les photographier par pudeur.
En rentrant j’ai raconté cette anecdote à plusieurs personnes. J’ai eu des réactions curieuses de la part de certains me disant qu’on ferait bien d’en faire autant avec nos prisonniers…
L’esclavagisme a encore de bons jours devant lui. Celui de ce pays en voie de développement ne ménage pas toutes les castes. Nous quittons le Cachemire pour entrer dans la région de l’Himachal Pradesh. Et cela se voit.
Nous abandonnons nos compagnons à Darcha (33000 m). Je leur bras les uns après les autres, quelques larmes coulant. Un grand merci à eux.
Nous continuons notre route ponctuée de paysages grandioses, magnifiques. Le grand Himalaya est majestueux vu d’ici. Mais les travaux réalisés sur cette route dévisagent ce paysage. Gageons que le moine qui finance ces 40 km soit assuré de renforcer les biens entre bouddhistes du Ladakh et du Zanskar. Le loup sera dans la bergerie.
Nous stoppons brutalement notre route : le pont à traverser n’est plus praticable. S’en suit une cohue de part et d’autre du pont. Bon nombre de véhicules militaires empruntent cette route car celle du Cachemire est fermée : un village a été engloutis sous un éboulis faisant 200 morts.
Le pont est provisoire réparé et c’est dans un déluge de klaxons que chacun tente de se frayer un chemin. Nous abandonnons l’idée de nous arrêter déjeuner dans ce chaos indescriptible. La route, la poussière qui vole empêche de contempler le paysage. Chacun double l’autre dans des conditions extrêmes sous le regard des militaires stoïques. Les camions citernes circulent en files interminables.
Nous arrivons enfin en haut du col de Marhi Himachal à 4000 mètres et faisons une pause repas.
Le spectacle qui se présente à nous est totalement contrasté avec le chaos vécu ces dernières heures : des centaines de personnes pratiquent du parapente, du trek à pied ou à cheval au départ de ce col. Les parapentes volent au dessus de nos têtes, des boutiques colées les unes aux autres proposent des repas exotiques. Retour brutal à la « civilisation ». Des jeunes sont montés en moto, l’homme un casque sur la tête et sa « compagne » à l’arrière sans rien… Bienvenue en Inde.
La descente jusqu’à Manali est longue pour notre chauffeur. Celui-ci a eu froid et a mal dormi cette nuit (les chauffeurs dorment dans leur véhicule…). Je lui donne des bonbons pour le réveiller et des bonbons aux autres pour les détendre. Nous arrivons sains et saufs et retrouvons le rythme des villes. Enfin presque. Manali semble une des plaques tournantes ayant remplacé Katmandu dans le trafic de drogue. Ici, la consommation de drogue semble légion. De jeunes groupes d’Israéliens, d’Allemands et d’Italiens ont trouvé la latitude de Manali – associée à une application de la loi plutôt laxiste – propice à la culture et au trafic du cannabis. Ici, le cannabis pousse partout à l’état sauvage.
Je fais la connaissance d’un brésilien se faisant son pétard sereinement sur la terrasse de l’hôtel. Il m’explique qu’un ami lui a conseillé Manali comme destination pour la qualité de la drogue. Nous avons eu un échange sincère et agréable malgré les fumées de haschich soufflées.
Auparavant, j’avais pris le temps de la douche si précieuse et tant attendue. J’en profite pour laver des affaires tant je me sens sale.
Un petit tour dans les ruelles et nous nous retrouvons au restaurant pour déguster une truite. Premier poisson depuis bien longtemps.
Manali ressemble à un village de baba-cool venus de tous les pays. La population israélite est fortement présente. Les Vans (Ardèche) devaient ressembler à cela dans les années 70.
Je rentre car j’ai hâte d’envoyer un message à ceux que j’aime.
Jour 20 :
Dans la religion hindoue, Manu était connu pour avoir survécu à une terrible inondation ayant ravagé le reste du monde. C’est alors qu’il a recréé l’humanité dans cette ville de la vallée de Kullu. Quelle hâte, n’est-ce pas ? Il n’est pas étonnant que les pics imposants et la nature verdoyante de Manali attirent tant les voyageurs en quête d’aventure. C’est un vrai terrain de jeu pour pratiquer l’héliski, la randonnée, l’alpinisme et le rafting.
La force de l’habitude m’a fait me réveiller à 5h30. Décidé, me voici décidé à prendre la direction du centre de Manali. J’ai quelques souvenirs à ramener. Notre Guest-House est situé dans le vieux Manali, soit à 3 km du centre-ville.
Tout est calme dans les rues et cela contraste avec le bruit ces activités nocturnes. Des employés rentrent des marchandises dans un restaurant. Dans les rues il n’y a pas âme qui bouge. Je croise des vaches, des singes et des chiens errants. Ils sont en nombre important. J’arrive dans la grande rue encore endormie. Les rideaux sont baissés et les premières boissons chaudes sont servies aux hommes à peine réveillés. Je déambule dans les rues à la recherche de je ne sais quoi. Un peu perdu dans ces lieux. Soudain je me trouve à suivre les trois femmes croisées quelques jours auparavant sur le trek. Je les salue et elles me proposent d’aller déjeuner avec elles. Deux d’entre elles semblent bien connaître les traditions, les coutumes et le centre de Manali. Elles commandent un plat particulièrement épicé accompagné d’un thé au lait. Attention, c’est super épicé me disent les vieilles baroudeuses. Même pas peur, je commande la même chose. L’une d’elle prend peur car elle a déjà tenté l’aventure. Le plat arrive : une galette de pomme de terre accompagnée d’une « soupe froide » aux piments et d’une crème apaisante (tout est dit). J’alterne l’un et l’autre la bouche en feu mais heureux de partager avec ces femmes. L’une d’entre elle a suivi des formations aux massages dans le Kerala, région du sud spécialisée dans les traitements ayurvédiques. A méditer pour la suite.
Rassasiés, nous partons pour une balade dans les petites rues. Nous rencontrerons des nomades sous leurs tentes. Ce sont des familles de bergers très respectées tant leur compétence est reconnue. Nous visitons un petit temple hindou. Nous déambulons dans les rues allant de découvertes en surprises. Après avoir fait quelques achats avec ces dames, me voici parti pour remonter vers le centre ancien à travers la forêt de cèdres. Sur le chemin je croise un homme qui me propose du haschich…
Il est temps pour moi de plier mes bagages. Horeur ! mon linge est encore trempé. Tant pis, je prie pour que tout rentre.
Je passe à la boutique internet adresser un message à mon petit amour, mes deux grands et à l’équipe de Stélinat.
Nous voici en direction de la station de bus de Manali.
Nous allons passer toute la nuit dans ce bus direction Delhi.
Dès les premiers kilomètre nous avons une idée précise de ce que nous allons vivre durant 14 heures : dans un concert de klaxons les véhicules se doublent sans trop se soucier de la visibilité et de l’état des routes. Nous sommes obligé de stopper tant le nombre de véhicules est dense. Sans parler de la poussière, des vaches en travers de la route, des commémorations mortuaires déambulant entre les véhicules, etc. Nous croisons un peu plus tard un marché aux pommes.
La route des remplie de trous, de creux et de bosses. Usée par les milliers de camions Tata qui tentent de se frayer un chemin de nuit comme de jour. Difficile de profiter du paysage dans toute cette poussière et cet enchevêtrement de véhicules. Pause repas rapide puis nous voici de nouveau sur la « route ».
Je tente de m’endormir bercé par les klaxons. De temps en temps j’ouvre un œil pour voir des camions dans tous les sens.
Vivement demain
Jour 21 :
Il reste 85 km jusqu’à Delhi lorsque j’ouvre les yeux. Un emboitement de rizières et d’immeubles se succèdent. Damien dors et le temps qu’il réagisse nous manquons notre arrêt de bus. Les demi-tour étant impossibles, la négociation avec les chauffeurs de taxi s’éternise, bienvenue à Delhi.
Nous arrivons enfin à charger les véhicules et à prendre la direction de l’hôtel dans le quartier tibétain de Delhi. L’hotel Wongdhen House est situé dans une ruelle étroite. Mais dans ce quartier tout est étroit (magasins, ruelles, etc.).
La chambre est rustique et la salle de bains pas de toute première fraicheur mais la douche fait le plus grand bien et surtout le quartier est calme. Nous partons à quelques uns faire des emplettes. Il nous prend l’idée de traverser le pont et de sortir du quartier tibétain pour nous plonger dans le marché indien. Les mélanges de couleurs, les vendeurs de légumes alternant avec les tailleurs offre une perspective extraordinaire. C’est là que j’entre dans une échoppe de tissus et achète 9 mètres de tissu indien qui servira par la suite à la confection de nos tenues de mariage. Une commande de ma petite femme.
Nous passons devant un temple hindous. Il nous signe d’une peinture sur le front et nous donne une poignée de cristaux. Une belle rencontre et un beau moment au sein d’un vrai marché indien.
Par la suite nous rencontrerons Marie, une jeune lyonnais qui pars avec son cousin faire le tour des Annapurnas au Népal. Elle passera la soirée avec nous, heureuse de ne pas se retrouver seule. Par la suite, elle aidera Maryline, mais ceci est une autre histoire.
Jour 22 :
Mauvaise nouvelle ! Le vol de Maryline est reporté. En effet, des mouvements de grève à Paris reportent son vol à la semaine prochaine. Et par magie, la mauvaise nouvelle se transforme en opportunité pour Maryline d’aller visiter le Taj Mahal et d’avoir pour accompagnatrice Marie. Pour notre part, nous partons visiter Delhi en rickshaw. Il nous dépose à Chandni Chowk face au fort rouge. C’est un quartier marchand. Nous pénétrons dans le quartier des bijoutiers et y resterons le temps que Geneviève achète sa montre. Direction la mosquée de Jama Masjid à la très longue histoire. La Jama Masjid dite aussi grande mosquée de Shahjahânabâd ou grande mosquée de Delhi, est la plus grande de l’Inde, elle peut accueillir 25 000 personnes.
Nous déambulons dans les rues de Delhi jusqu’à croiser un indien qui nous aidera à nous diriger vers le mémorial de Gandhi. Le parc y est agréable après le bruit de la ville.
Le Raj Ghat, mémorial du Mahatma Gandhi, est une simple plateforme de marbre noir qui marque l’endroit de sa crémation le 31 janvier 1948.
Une flamme éternelle brûle à l’une de ses extrémités. Le Raj Ghat est situé sur les rives de la rivière Yamuna à Delhi en Inde. Deux musées dédié à Gandhi sont situés à proximité.
Sur le mémorial est inscrit l’épitaphe Hē Ram, (littéralement « Ô Rama », mais aussi traduit comme « Ô Dieu »), qui sont les dernières paroles murmurées par Gandhi.
Une pause méditative et de reconnaissance m’est nécessaire. Empli d’émotions
Merci au grand Gandhi des leçons de vie qu’il m’apporte chaque jour.
Retour sous une chaleur, une foule et un vacarme assourdissant.
Nous voici de retour au Fort Rouge, épuisés de cette longue marche.
Le temps de faire les dernières emplettes, la dernière douche et nous voici en direction de l’aéroport pour Lyon via la Suisse à la tombée de la nuit.
Demain je serai à nouveau auprès des miens.
Fier du chemin parcouru.
Fier d’avoir réussi mon pari. Mon rêve et mes efforts aboutis, des images, des sensations, des émotions plein le cœur.
Merci à Rencontres Bout du Monde de préparer de si beaux parcours avec un programme adapté et une évolution respectueuse des sites, des personnes et des traditions.
Julay mes amis Zanskaris et Ladhakis.
Skid Phuntsok pourra transmettre les photos à sa guise s’il le souhaite, et faire partager ces moments d’émotion et d’amour (Enfin… dès qu’il se sera mis au Français ce qui était dans ses projets). Merci mon ami et je compte sur toi pour protéger les tiens des turpitudes des industriels avides de nouvelles conquêtes. PHUNTSOK PRESIDENT DES ZANSKARIS.
Pour ma part, je vais continuer à porter mon mala tibétain et ma chemise faite par des réfugiés tibétains et par là même témoigner à chaque fois que ce sera nécessaire.
J’ai hâte de pouvoir partager avec mon petit amour ce chemin parcouru auquel elle aura contribué à travers les marches estivales et la préparation matérielle du voyage.
J’ai hâte de pouvoir transmettre à d’autre l’envie d’aller jusqu’au bout de leur rêve. De témoigner tout simplement de ce que j’ai vécu de beau. La sobriété d’une vie simple.
Jour après jour, j’ai décidé de refaire le chemin avec ceux qui auront envie de découvrir cette région et ses habitants et peut être provoquer l’envie de se lancer dans l’aventure.
Julay